Alors que L'Équipe est en grève, le foot pro est dans la mouise

Le foot pro en crise. Etonnant ?
Drôle de coïncidence. Alors que le quotidien sportif sera nouveau absent des kiosques ce jeudi, pour cause de gestion calamiteuse des droits TV, le football français est dans l'impasse. Plusieurs clubs vont droit vers le dépôt de bilan. Des faits d'actualité qui n'ont rien à voir ? Pas si sûr !
Ce jeudi 14 janvier 2021, le quotidien L'Équipe ne paraîtra pas : ni en version papier, ni en ligne. Pour le sixième jour consécutif, les salariés ont voté hier après-midi la poursuite d'une grève qui mobilise une majorité de la rédaction et des salariés des autres titres ou services affiliés. En cause, l'annonce par la direction du quotidien appartenant au groupe Amaury d'un Plan de sauvegarde de l'emploi qui pourrait se traduire par 50 à 60 suppressions de postes.
Selon la direction que cite Le Monde, « si rien ne devait être fait, les projections de pertes pour les quatre années à venir seraient de 6 millions d’euros pour 2021, 7 millions pour 2022, et à plus de 1 millions pour 2023 et 2024. » Et encore ces prévisions tiennent compte d’événements sportifs « porteurs », ajoute-t-elle (on imagine qu'elle pense à l'Euro de foot cet été, à la coupe du monde de 2022 ou encore aux JO de Paris en 2024).
Du côté des salariés, notamment au sein de la rédaction dont plusieurs « plumes » réputées comme Vincent Duluc suivent le mouvement, l'analyse est fort différente. « Il faudrait faire mieux avec moins » se plaint Francis Magois, délégué syndical SNJ, toujours cité par Le Monde. Qui craint surtout que cette nouvelle coupe dans les effectifs affecte aussi le contenu : « Les gens nous lisent parce qu’ils trouvent des articles de spécialistes. Si on écrabouille la force de production, et si on supprime les « petits sports », c’est la mort ! »

Déjà très centré sur le foot, et quelques sports ou événements jugés plus vendeurs (rugby, formule 1, tour de France cycliste…), le quotidien sportif perdrait de sa substance, s'appauvrirait sur le fond et sur la forme, soutient l'intersyndicale (SNJ, SNJ-CGT, UFICT-CGT, SGLCE-CGT).
Ayant plutôt bien réussi les mutations et diversifications imposées partout ou presque dans la presse ces dernières années (format tabloïd, site internet, chaîne télé), parvenant à maintenir sa diffusion en dépit de l'émergence des réseaux sociaux qui permettent au public de suivre quasi en direct résultats, statistiques et compétition, L'Équipe qui a toujours écarté d'éventuels concurrents paie sans doute aussi, néanmoins, un tribut à un phénomène autre (en plus évidemment de la stratégie de ses actionnaires…) : la France est-elle oui ou non un pays de sport ? Et notamment un pays de football ?
Pas un pays de sport...
Une chose est de défiler sur les Champs et de klaxonner sur les places des villes et villages un soir de victoire en coupe du monde, une autre est de compter des millions de licenciés dans d'autres disciplines que le foot, des supporters fidèles les jours de matches autres que quelques centaines d'ultras _ hors période imposant le huis-clos, évidemment _,
C'est pourquoi la liaison peut être faite, peut-être, avec la crise majeure à laquelle est confrontée le foot professionnel. La crise sanitaire d'une part (recettes guichets à zéro, sponsors défaillants), et surtout des droits TV en train de fondre comme neige au soleil d'autre part et voilà que plusieurs clubs, y compris en L1, sont annoncés comme au bord du dépôt de bilan.
On connaît l'histoire : grisés, les dirigeants de clubs (moins prudents généralement quand ils sont à la tête d'entités sportives que de leurs propres entreprises) ont poussé la Ligue à signer un contrat mirobolant avec Mediapro qui devait rapporter 800 millions par an. La société espagnole a fait faux bond. Et le diffuseur historique, Canal Plus, n'entend pas jouer les pompiers de service. Il est certes en position de force mais invoque aussi une baisse des audiences, et des spectacles de qualité médiocre. Il n'a pas tort, hélas. Ayant anticipé des recettes miraculeuses, plusieurs clubs qui tiennent debout uniquement grâce aux droits TV sont donc plus que mal en point. Car on avait déjà sorti les carnets de chèques, recruté à tout va et surpayés transferts et salaires bénéficiant à des joueurs qui n'en demandaient pas tant.
Les petits salaires vont trinquer
Résultat des courses : ces mêmes joueurs, et souvent les plus modestes, sont priés de signer des avenants pour gagner moins. Ils n'avaient pas négocié pourtant en posant un revolver sur la table. Mais le plus désolant, c'est que nombre de ceux qui vont accepter sont ceux qui gagnent le moins : il vaut mieux pour eux rester sous contrat avec un salaire revu à la baisse que de se retrouver au chômage…

Pour info, en L1, le salaire médian est de 35 000 euros et le salaire moyen de 90 000 euros (tiré à la hausse par les stars du PSG, notamment). Mais avec des carrières relativement courtes (10 à 15 ans). Et une fiscalité en France moins avantageuse que dans des pays européens comme l'Angleterre ou l'Espagne.
Si l'on ajoute que de plus en plus de clubs ont des modèles économiques basés sur le trading (achat puis revente de joueurs avec plus-value), des actionnariats à vocation spéculative (fonds d'investissement) et des ressources propres limitées (sauf le modèle lyonnais), le contexte est bien maussade.
Voire mortifère.
Comme certains matches diffusés, jusqu'ici encore, à la télé. Avec des téléspectateurs par ailleurs fatigués de devoir multiplier les abonnements puisque les diffuseurs sont pluriels.
N'étant pas, contrairement à l'Italie, à l'Espagne, à l'Allemagne ou à l'Angleterre, un vrai pays de foot, la France en paie le prix. Si on ose dire.