Rimbaud au Panthéon ? Pour nous c'est non !

Arthur Rimbaud, poète et citoyen du monde
Une pétition signée notamment par d'anciens ministres de la Culture, des écrivains et artistes pour certains certes très fréquentables, suggère « l’entrée au Panthéon d’Arthur Rimbaud et Paul Verlaine ». C'est un non-sens, un bien mauvais service à leur rendre si l'on souhaite être fidèle à ce que fut leur œuvre et leur vie.
Les hommages à Rimbaud ont toujours déclenché des polémiques.
En 1927, l'inauguration d'un nouveau buste du poète appelle une réaction vigoureuse des surréalistes. Dans un tract supposé être distribué à Charleville, Breton, Aragon, Ernst et les autres ironisent d'abord. « Messieurs les Représentants des Ardennes, Monsieur le Maire de Charleville, Messieurs les Notables, Monsieur le Président de la Société des Poètes ardennais… Vous prenez, paraît-il, la responsabilité d'inaugurer aujourd'hui, pour la seconde fois, un monument à la mémoire d'Arthur Rimbaud et d'organiser à ce propos une petite fête régionale. (…) Vous avouerez, Messieurs, que l'occasion est peut-être mal choisie de se laisser aller au délire patriotique, celui que vous célébrez n'ayant eu pour vous que des gestes de dégoût et des paroles de haine et ne pouvant jouir à jamais que d'une gloire toute contraire à celle des écrivains morts pour la France, ces « Chevaliers de l'esprit en qui se concentre ce que la France a défendu au cours de la dernière guerre » (dixit Herriot, NDLR). Il est vrai que vous ne savez pas qui est Rimbaud et de nouveau vous le lui faites bien voir... »

Suivent plusieurs extraits de l'œuvre choisis à dessein et ces attaques en piqué : « Nous sommes curieux de savoir comment vous pouvez concilier dans votre ville la présence d'un monument aux morts pour la patrie et celle d'un monument à la mémoire d'un homme en qui s'est incarné la plus haute conception du défaitisme, du défaitisme actif qu'en temps de guerre vous fusillez (…). De toute façon, la France le dégoûtait. Son esprit, ses grands hommes, ses mœurs, ses lois symbolisaient pour lui tout ce qu'il peut y avoir au monde de plus insignifiant et de plus bas (...). Peu nous importe que l'on inaugure une statue à, que l'on édite les œuvres complètes de, que l'on tire quelque parti que ce soit des intelligences les plus subversives puisque leur venin merveilleux continuera à s'infiltrer éternellement dans l'âme des jeunes gens pour les corrompre ou pour les grandir. La statue qu'on inaugure aujourd'hui subira peut-être le même sort que la précédente. Celle-ci, que les Allemands firent disparaître, dut servir à la fabrication d'obus et Rimbaud se fût attendu avec délices à ce que l'un d'eux bouleversât de fond en comble votre place de la Gare ou réduisît à néant le musée dans lequel on s'apprête à négocier ignoblement sa gloire. »
Sur ce dernier point, l'histoire leur donna raison.
Et Claudel aussi a dit non
Rebelote en 1954.
Invité aux célébrations du centenaire de la naissance du poète, Paul Claudel sonne la charge. « Arthur Rimbaud se situe pour moi sur un tout autre plan que la littérature. Les célébrations vulgaires, avec orphéons, pompiers, discours, récitations, inscription du nom au coin d'une rue, décorations et le banquet final, me paraissent entièrement déplacées. Je n'ai aucune envie de m'y associer. » Et il ajoute ce post-scriptum : « Une messe aurait suffi. » Cette fois, on n'entend pas les surréalistes qui ont fait de Rimbaud l'un de leurs génies précurseurs.
En revanche, dans Le Monde, le journaliste rigole. « L'auteur du Bateau ivre a endroit dimanche à des honneurs plus importants encore que ceux prévus par Claudel. Il n'y avait pas de pompiers, mais un détachement de troupes, pas d'orphéons, mais des fanfares militaires ; deux plaques, et non une, ont été posées dans deux rues différentes; on a replacé sur son socle le buste que les Allemands en 1941, pour la seconde fois, avaient envoyé à la fonte, et l'on a inauguré un musée. Je crois que je n'oublie rien, sinon ce qui est de rigueur : les discours, le banquet et la présence de toutes les autorités constituées (…). Par-dessus toutes ces cérémonies, un petit soleil doux dans un ciel bleu délavé. Un bel anniversaire vraiment pour un poète maudit qui a renoncé à la littérature en la vouant aux gémonies ! Il y a du paradoxe et une pointe de comique dans ces hommages rendus par la société à ce jeune fauve avide, en lutte avec tout ce qui la compose : famille, religion, État. Les orateurs se sentent un peu mal à l'aise sous ce regard narquois qui les toise. Loue-t-on le poète ? Il n'est grand que dans sa révolte, dans ce « long, immense et raisonné dérèglement des sens » par où il a renouvelé la poésie. Loue-t-on l'homme qui a su rompre avec une expérience destructrice pour retrouver le réel, à travers le négoce et l'exploration ? Il n'a plus de génie... Georges Duhamel se rassure en évoquant le besoin d'ordre, de paix et d'affection dont Rimbaud a témoigné, malgré ses sarcasmes, à la fin de sa vie. Mais l'aventure est si étrange, si douloureuse, qu'il ne souhaite pas la voir se reproduire. »

Suivront, au fil des décennies d'autres hommages, d'autres cérémonies. Dénués désormais de la cuistrerie de jadis. En 1991 pour le 100e anniversaire de sa mort, en 2004 pour le 150e de sa naissance.
Arthur superstar... façon Che Guevara
On organise alors des conférences, on multiplie les expositions (comme le spectaculaire alignement de centaines de bustes colorés sur la place Ducale), on conçoit un parcours dans sa cité natale, on mène à bien le projet audacieux de la Maison des Ailleurs, dans l'immeuble où il vécut, en rappelant les étapes où se fixa toujours temporairement l'homme aux semelles de vent, et en donnant carte blanche à des artistes contemporains pour habiller ce voyage.
En parallèle, le fonds du musée est régulièrement enrichi grâce au travail du conservateur Alain Tourneux, celui des manuscrits aussi, grâce à la vigilance de Gérard Martin, à la bibliothèque.
Plus récemment, des fresques murales sont créées et le musée a bénéficié d'un salutaire lifting.
On en oublierait ces dizaines, centaines, milliers de pèlerins, célèbres ou anonymes, venus de Paris ou de Chine, qui n'oublient pas de se rendre au cimetière…
Hors Charleville, n'en parlons même pas : des essais, des pièces, des œuvres et créations en tous genres sont publiés et diffusés tous les ans. Et régulièrement, un manuscrit inédit, une photo oubliée refont surface.
Figure iconique de la poésie, de la jeunesse, de la révolte, Rimbaud est plus que jamais une superstar. Et le portrait de Carjat, parfois, est brandi comme un temps celui de Che Guevara.

Rimbaud avait tout pour lui. Et contre lui. Un génie jamais satisfait, un fugueur pour qui chaque fuite était aussi le début d'une nouvelle espérance d'atteindre un ailleurs enfin en phase avec ses attentes : mais ce ne furent qu'échecs. Une grande gueule et une gueule d'ange. Et puis enfin, cette porte claquée : adieu la poésie. Le brillant collégien devenu l'espoir des lettres (en tout cas pour ses amis) se fera négociant sous le soleil d'Afrique.
Une porte claquée, donc, mais il en avait ouvert tant d'autres, inventeur de son propre langage, faisant entrer dans l'histoire de l'art et de la littérature _ si ce mot avait un sens pour lui _ d'incessantes et vigoureuses bourrasques d'air frais.
Au nom de quoi le déranger, à présent, au nom de quoi lui imposer le Panthéon, si ce n'est hélas pour de bien mauvaises raisons ?
Un citoyen du monde, pas un patriote
Son œuvre, sa vie, ses lettres, ce que ses contemporains qui l'ont connu et croisé ont écrit : tout indique que rien ne l'aurait fait plus pleurer et pisser de rire ou se tordre d'indignation. Aux grands hommes la patrie reconnaissante. Soit. Mais pas ça. Pas lui. Pas de grand-messe laïque. Et la Marseillaise pendant qu'on y est ? Rimbaud était avant l'heure un citoyen du monde. Le concept même de patrie lui était étranger, sans jeu de mots.
Des autres points interrogent, à tout le moins. Lui imposer le Panthéon et qui plus est, en compagnie de Verlaine, autre grand poète. Parce qu'ils furent amants, parce qu'ils furent victimes de ce que l'on n'appelait pas encore de quelque discrimination homophobe ? Mais voilà : quand Rimbaud décida de tourner la page, de claquer la porte, de ne plus écrire (même si le peu d'écrits qu'il signa ensuite, même administratifs ou techniques, destinés à la Société de géographie, ou ses lettres à sa famille, restent évidemment du Rimbaud sur le fond comme sur la forme), il décida aussi de rompre, définitivement avec Verlaine. C'est un fait. Et rien ne justifie qu'on réunisse post-mortem un couple qui avait volé en éclats du vivant des deux intéressés. Même si Verlaine contribua, et pas qu'un peu, à ce que l'œuvre de Rimbaud soit sauvée. Et connue.

Il y a encore l'attachement aux Ardennes. Même si ce fut parfois, souvent, pour des raisons matérielles, il y revint toujours avant de mieux en repartir.
Le président des Amis de Rimbaud, ses descendants, ont aussi fait part de leur opposition. Une pétition d'opposants a été lancée.
Alors soyons clairs. Même s'ils sont de bonne foi, les signataires se trompent. Et pour ce est qui parmi eux des politiques, qu'ils se posent d'abord cette question : qu'ont-ils fait et que font-ils, au quotidien, pour que la poésie et l'art soient diffusés auprès du plus grand nombre, pour aider les créateurs d'aujourd'hui ? Tiens, au passage : où étaient-ils quand fut vendue à l'encan la collection Breton, héritier fidèle de Rimbaud, en 2003 ?
Pour conclure, ajoutons qu'il se trouve sans aucun doute d'autres poètes et artistes moins indifférents à l'idée même de patrie que Rimbaud, mais dont l'œuvre fut et demeure remarquable. Et qui ont, puisque c'est un volet de l'argumentaire qui n'est pas à rejeter d'un revers de main évidemment, peu ou prou, ou été victimes d'homophobie, ou combattu pour la reconnaissance des droits des LGBT, à commencer par la dépénalisation. Dans différents domaines, littérature et poésie, arts plastiques, musique, ils et elles sont légion.
Mais Rimbaud, non. S'il vous plaît.